Les signes de la forêt

 

Un travail photographique sur la forêt

comme frontière extérieure

 

Il y a quelques années, un sondage lu dans la presse m’avait intrigué. L’une des questions posées était :

« La nuit venue, dans lequel de ces deux endroits auriez-vous le plus peur : une ville ou une forêt ? ».

La quasi-totalité des réponses désignait la forêt. Il était ensuite démontré, statistiques à l’appui, que l’on courait infiniment plus de dangers dans une ville à la nuit tombée.

Alors, pourquoi cette peur ? Quels liens étranges nous unissent à la forêt ?

Ces questions me sont longtemps restées en tête…

 

 

Une « frontière extérieure »

 

La question de notre rapport ambigu à la forêt est à l’origine de ce travail photographique. J’ai essayé de mettre en image ce que ce lieu évoque pour nous, en cherchant les raisons pour lesquelles la forêt est encore, pour les Hommes du 21ème siècle, chargée de symboles et de mystères.

La forêt est un monde à part qui, selon Robert Harrison*, marque :  « une frontière extérieure entre l’humain et le non-humain ». C’est cette frontière qui donne à la civilisation ses repères et « sans ces contrées extérieures, pas d’intérieur où habiter ». On peut d’ailleurs associer notre émotion, face à la déforestation actuelle ou aux forêts qui brûlent, à une peur enfouie de voir cette frontière disparaître et avec elle la notion d’habitat humain.

La forêt vierge est à ce titre « la frontière d’extériorité » la plus significative, un endroit où l’imaginaire peut se représenter un état préhistorique de la nature idéalisé en paradis perdu.

 

 

Un « souvenir archaïque »

 

Cette idée d’un « souvenir archaïque » peut être reliée à la théorie d’Yves Coppens selon laquelle, les forêts d’Afrique orientale disparaissant il y a huit millions d’années, le singe dû s’adapter à la savane en se redressant sur ses pattes arrières pour devenir pré-humain.

A partir du moment où l’homme se sédentarise et jette les fondements de la civilisation, ses rapports à la forêt vont peu à peu évoluer et devenir ambivalents. Elle sera vécue tour à tour comme protectrice ou dangereuse, lieu d’enchantement ou de perdition, de méditation ou de folie.

Dès l’Antiquité, elle devient un puissant vecteur de mythes, de contes et de légendes, de la forêt sacrée de Dodone en Grèce à l’univers terrifiant des croyances Gauloises, jusqu’à la forêt enchantée de Brocéliande. Elle devient également le refuge de ceux qui veulent se mettre hors de la société des Hommes : ermites, mystiques, saints, amants, persécutés, proscrits, hors-la-loi ou héros.

 

 

La forêt désenchantée

 

Peu à peu investie en Europe occidentale, elle va prendre une importance économique essentielle au Moyen-Âge, période de grands défrichements et d’essor démographique sans précédent. Les déboisements vont durer des siècles… Désormais, les forêts qui survivront ne seront plus des domaines intouchables mais des lieux dominés et administrés par l’Homme.

Aujourd’hui, la forêt est-elle désenchantée ? réduite au mieux à un lieu de promenade, au pire à une usine à bois, peut-elle encore être le théâtre d ‘aventures fantastiques ? l’Homme peut-il encore y perpétuer sa relation au monde ?

Dans ce travail photographique, j’ai voulu retrouver cette « frontière extérieure » et en donner ma propre vision. Mon envie n’était pas de montrer des lieux exotiques ou remarquables mais plutôt de travailler sur des forêts ordinaires, proches de nous en tentant de « sacraliser » la société anonyme des arbres.